Que nous dit la science sur la nature de l'Univers ?
Sur son origine et son futur ?
Entre le cosmos qu'il dévoile pour nous et le lotus qui symbolise l'éducation confucéenne et bouddhiste qu'il a reçue, l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan, prochain conférencier à l'INREES, nous invite à emprunter une voie d'intelligence ouverte.
Cette révolution mentale, les pères de la mécanique quantique eux-mêmes ont eu du mal à y souscrire. Albert Einstein pensait qu'on ne pouvait appréhender les particules par des probabilités : elles sont ou ne sont pas. « Dieu ne joue pas aux dés ! » ne cessait-il de répéter, alors que d'autres scientifiques, comme Werner Heisenberg ou Niels Bohr, se sont tournés vers les philosophies orientales pour comprendre. Exaspéré par Einstein, Bohr lui répliqua un jour : « Cessez de dire à Dieu ce qu'il doit faire! » La mécanique quantique est l'exemple le plus frappant qui m'incline à dire que, même si la méthode scientifique reste immuable, la culture dont on est issu permet de voir les mêmes choses avec une interprétation du monde parfois différente.
C'est ainsi que, selon vos propres mots, « l'astronomie donne à voir mais aussi à réfléchir ». L'astronomie et la cosmologie modernes ont profondément modifié nos idées sur la nature du temps et de l'espace, sur l'origine de la matière, sur le développement de la vie et de la conscience, sur l'ordre et le désordre, le chaos et l'harmonie, la causalité et le déterminisme. Les questions que se pose le cosmologue sont étonnamment proches de celles qui préoccupent le théologien : quelle est l'origine de l'Univers ? A-t-il pu se créer tout seul ? Aura-t-il une fin ? Notre existence a-t-elle un sens dans cette immensité ? L'émergence de l'intelligence et de la conscience n'est-elle qu'un simple fait du hasard ou bien est-elle inscrite dans les propriétés de chaque atome, étoile et galaxie de l'Univers, et dans chaque loi physique qui régit le cosmos ? A force d'attaquer le mur qui cerne la réalité physique avec le marteau-pilon que sont les lois physiques et mathématiques, cosmologues et astronomes se retrouvent nez à nez avec les théologiens. La cosmologie aborde des sujets qui furent longtemps la propriété exclusive de la religion. J'ai la ferme conviction que la science peut jeter un éclairage nouveau sur ces questions anciennes. Et, bien sûr, je n'en exclus nullement ma tradition spirituelle, le bouddhisme.
Le bouddhisme ne s'arrête pas à la connaissance apparente du phénomène (car il y a une vérité apparente de nos sens qui est souvent trompeuse), mais son but est la compréhension de la vraie nature des choses, ce qu'on appelle la vérité ultime. Cette connaissance suprême inclut celle du mécanisme du cosmos : comment les choses sont, comment elles évoluent, et comment elles interagissent. Autant d'objets d'études pour la science qui fait le pont entre elles par la découverte de ce que l'on appelle les lois physiques. Vous lâchez une balle ici, elle tombe vers la Terre. Newton dit que c'est la gravité qui en est la cause. Cela se calcule avec des équations. Le bouddhisme n'utilise évidemment pas le langage mathématique, il décrit les choses de manière plus qualitative. Il en a, au surplus, la prescience ou l'intuition. Beaucoup de scientifiques l'ont eux-mêmes éprouvée, travaillant sans véritable aboutissement, quand soudain, comme si cela sortait de rien, à un moment tout à fait inattendu, on « voit » certaines solutions. Ainsi de l'«Eurêka!» d'Archimède dans sa baignoire... [...]
Copernic a délogé la Terre de la place centrale que lui attribuaient les Grecs - tout comme la Bible qui n'imaginait l'Univers qu'au service de l'homme. La Terre n'étant plus, depuis le XVIe siècle, qu'une simple planète tournant autour du Soleil, l'ego humain s'est consolé en songeant que notre astre devait être au centre de la Voie lactée. Patatras ! Trois siècles plus tard, les astronomes ont démontré que le Soleil n'est qu'une simple étoile de banlieue parmi les 100 milliards de la Voie lactée, cette dernière se perdant à son tour parmi les 100 milliards de galaxies dans l'Univers obser vable. Notre place est donc celle d'un grain de sable dans le vaste océan cosmique. Dans Le Hasard et la Nécessité, le biologiste Jacques Monod a avancé que nous étions là par hasard, au sein d'un monde indifférent. Vision pessi miste et réductrice de notre place dans le cosmos sur laquelle le prix Nobel de physique Steven Weinberg a renchéri en affir mant que «plus on comprend l'Univers, plus il nous apparaît dépourvu de sens». Je ne partage nullement cette vue désespérante. La cosmologie, bien au contraire, a réenchanté le monde, redécouvrant l'ancienne connexion entre l'homme et l'Univers.
Depuis la fin des années 50, nous savons que tous les atomes dont nous sommes faits et que nous respirons sont issus des étoiles : nous inhalons aujourd'hui les mêmes atomes d'oxygène que Jules César ! Tout est interconnecté, nous sommes tous des poussières d'étoiles et nous partageons tous la même généalogie cosmique. William Fowler, père de l'astrophysique nucléaire - l'un de mes professeurs -, fut le premier à expliquer comment les étoiles pouvaient synthétiser les éléments chimiques. La cosmologie moderne a découvert comment l'Univers semble avoir été réglé de façon extrêmement précise pour que naissent les étoiles, pour qu'elles accomplissent leur alchimie nucléaire et engendrent ainsi la vie et la conscience. Toutes les propriétés de l'Univers observables autour de nous : la mer, le ciel, les montagnes, les forêts, les hommes, leurs objets et leurs maisons dépendent de constantes physiques correspondant à une quinzaine de nombres. Par exemple la vitesse de la lumière : 300 000 km/s, la plus rapide dans l'Univers. Pourquoi 300 000 km/s ? On le constate, c'est tout : ces nombres nous sont donnés dans la nature. Ainsi de la masse des électrons, de la constante de gravité, de la constante de Planck déterminant la taille des atomes. Et puis il y a les propriétés dont les fées ont doté l'Univers à son berceau : son taux d'expansion initiale, sa quantité d'énergie, de matière lumineuse, mais aussi de matière noire : les 100 milliards de soleils dans chacune des 100 milliards de galaxies, la matière lumineuse que nous voyons ne constitue que 0,5 % de l'Univers, l'énergie noire et la masse noire constituant 99,5 % de l'Univers. On s'est aperçu que si l'on variait un tant soit peu ces conditions physiques, l'Univers ne pourrait pas fabriquer d'étoiles. Sans étoiles, pas d'éléments lourds, parce que le big-bang ne fabrique que l'hydrogène et l'hélium - éléments trop simples pour construire la chimie nécessaire aux chaînes d'ADN qui portent nos gènes, ou pour former les neurones qui sont le support de notre conscience. L'Univers a été réglé de façon extrêmement précise pour que nous soyons ici. Tout se joue sur un équilibre très délicat. La densité initiale de l'Univers doit être réglée avec une précision de 1060, comparable à celle dont devrait être capable un archer pour planter une flèche dans une cible carrée d'un centimètre de côté qui serait placée aux confins de l'Univers, à une distance de 15 milliards d'années-lumière ! Un changement infime entraînerait la stérilité de l'Univers. Nous voici donc intimement liés au cosmos. Et nous sommes là pour lui donner du sens.
Un pari pascalien. Depuis Galilée, la science et la foi ont divergé. Les scientifiques n'aiment guère évoquer la foi ou la création. La science permet cet étrange scénario : postuler une infinité d'univers parallèles aux nôtres - ce que l'on appelle en physique un « multivers » - avec une combinaison de conditions initiales et de constantes physiques perdantes : pas de formation d'étoiles, donc pas d'éléments lourds, donc pas de vie consciente. Une infinité d'univers parallèles vides et stériles sauf, par hasard, une combinaison gagnante dans le nôtre, dont nous serions en quelque sorte le gros lot. Eh bien, non ! Je m'élève contre cette approche, car on ne pourra jamais observer ces supposés univers parallèles. Postuler pour un multivers perdant ne relève au mieux que de la métaphysique. Quand, en science, il n'y a pas de vérification expérimentale, ce n'est plus une théorie, mais un fantasme. Je le rejette. Souscrivant au principe d'Ockham, qui veut qu'on ne multiplie pas les entités sans nécessité, je ne vois pas pourquoi il faudrait faire compliqué si l'on peut faire simple. J'ajouterai un argument d'ordre plus émotionnel : lorsque, face à mon télescope, j'observe l'architecture cosmique, l'ordre, l'harmonie, il m'est difficile de penser que cela n'a aucun sens. Il y a la beauté qui s'apparente à la vérité. Je demeure constamment étonné que les lois que nous découvrons sur l'infinitésimal grain de sable qu'est notre Terre s'appliquent au cosmique. Tout semble tendre vers l'Un : à mesure que l'on avance dans la science, des phénomènes que l'on croyait distincts ont pu être unifiés. Si, donc, j'ai à choisir entre deux théories, nul doute que j'opterai pour la plus esthétique. Simplicité et élégance des hypothèses, non pas la simplicité des équations, mais celle des idées. Le fait qu'elles soient nécessaires. On ne peut pas changer une seule équation. Comme une note dans une partition de Jean-Sébastien Bach : vous la retranchez et tout s'écroule.
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